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Otto FISCHL : Pénurie

Otto Fischl

Bien qu’âgé de neuf ans, je me souviens de notre vie à Paris de façon indélébile. Je me rappelle assez clairement les épreuves qui ont suivi l’invasion de la France par l’Allemagne. La pénurie et les files d’attente pour obtenir de la nourriture à quatre heures du matin par temps glacial, pour finalement découvrir, lorsqu’arrivait mon tour, que la plupart du stock disponible était vendu et je n’avais plus alors qu’à retourner à la maison les mains vides. (p. 19-20)

Otto FISCHL, Mon journal, 19 octobre 1943-15 mars 1945, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009

Pierre AUER BACHER : Restrictions alimentaires

Pierre Auer Bacher

Vers octobre, les restrictions alimentaires commencèrent à être sérieuses. La distribution, sans être officiellement réglementée, était organisée par les seuls détaillants. Ainsi, chaque matin, je faisais la queue au magasin Cercle bleu de la rue Duret pour un peu de beurre et un quart de lait écrémé. (…) Autre souvenir, la pâtisserie du métro Obligado (aujourd’hui Argentine), qui vendait pour deux francs cinquante des biscottes beurrées avec un peu de margarine et recouvertes de vraie confiture. (p. 120)

 Les tickets d’alimentation : Au début de 1941, les difficultés d’alimentation n’étaient pas encore apparues. Mais, bien vite, même en zone sud, et en tout cas dans les grands centres, pour les habitants qui n’avaient pas la possibilité de s’approvisionner auprès de parents paysans, la situation devint grave assez rapidement.

Sont apparus successivement les tickets d’alimentation pour les matières principales : le pain, le lait, le fromage, la viande, les matières sucrées et, bientôt, les pommes de terre.  Pour le pain, on avait droit à deux cents grammes par jour et par adulte. Selon de savants calculs établissant les besoins en calories et en vitamines de chacun, les cartes d’alimentation étaient divisées en plusieurs catégories 1, qui allaient de la catégorie « enfants » (« J1 » jusqu’à six ans 2, « J2 » jusqu’à dix ans 3, « J3 » jusqu’à quinze ou seize ans 4), « adultes » et, ensuite, « vieillards ». (p. 142-143)

Pierre AUER BACHER, Souvenirs d’une période trouble, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2008

François SZULMAN : Une maigre soupe

François Szulman

Grâce aux tickets et à l’argent, je peux m’acquitter de mes missions. Je fais la queue pendant des heures devant l’épicier « Familistère ». Il faut beaucoup de patience pour acheter quelques pommes de terre, quelques rares légumes rabougris. Je réussis à rapporter très rarement un paquet de beurre. Le lait coule au compte-gouttes. Des miracles se produisent parfois chez le boucher, il m’arrive d’obtenir deux ou trois beefsteaks noirs et durs comme de l’ébène. Le pain est tout jaune, et pour en couper une tranche, une scie à bois est nécessaire. Maman s’adapte et imagine des recettes nouvelles. Elle invente le « Falche Yoïch  » : dans une casserole remplie d’eau, deux morceaux de poireau, un oignon, trois pommes de terre, un peu de sel. Nous avalons cette maigre soupe bien chaude qui ne fait qu’exaspérer notre faim. (p. 75)

François SZULMAN, Le petit peintre de Belleville, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2018

Fanny et David SAULEMAN : Ravitaillement

Fanny et David Sauleman

Afin de pouvoir se procurer de la nourriture, il fallait pourtant aller la chercher à d’autres heures que celles imposées par les autorités. Pour ne pas être vu avec des paquets par les policiers en faction devant le poste de police situé juste en face de notre porte cochère du 128 boulevard Voltaire, je passais, sans sortir dans la rue, par le grand balcon qui longeait les appartements du premier étage du bâtiment C. À l’angle de l’immeuble, je pouvais descendre, agrippé à une conduite d’eau, en utilisant les aspérités du mur.

J’arrivais ainsi dans un passage privé conduisant rue Popincourt. J’ai récemment essayé de refaire le parcours que j’empruntais en 1941-1942, il n’existe plus, de nouvelles constructions rendent impossible la descente dans ce passage. Rue Popincourt, rue Sedaine ou rue de la Roquette se trouvaient des commerces, boulangeries, épiceries, crémeries, boucheries, etc., dans lesquels il m’était possible d’entrer par les arrière-boutiques. Je devais malgré tout éviter d’être vu par les policiers. Certains commerçants compréhensifs qui nous connaissaient bien me servaient. Comme il était trop difficile de remonter par le même chemin qu’à l’aller, Maman laissait pendre une ficelle en surplomb du passage – comme le faisait nona Flor à Salonique lorsqu’elle achetait son poisson –, elle pouvait ainsi remonter les aliments que j’avais achetés. Plus tard, cachant mon étoile, je rentrais à la maison en passant par le boulevard Voltaire. (p. 293-294)

Fanny et David SAULEMAN, Deux mètres carrés, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009