Situations d'enfants Juifs
François SZULMAN : Rentrée scolaire de 1942
Début octobre 1942, j’intègre le cours supérieur 1. À l’appel nous ne sommes plus que deux petits Juifs, Tenenbaum et moi. L’année scolaire précédente nous étions une dizaine dans la classe. Notre institutrice est montée de classe avec ses élèves. Ces premières paroles sont rassurantes, elle espère revoir les manquants en bonne santé le plus tôt possible. Puis elle nous assure, Tenenbaum et moi, de tout son soutien. Nos camarades sont avec nous d’une grande gentillesse, ils ne manifestent plus aucun mouvement de rejet, bien au contraire. (p. 63)
François SZULMAN, Le petit peintre de Belleville, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2018
François LECOMTE : Faire de la résistance
Une autre manière de faire de la résistance avec mes copains et à notre niveau, c’est la poudre à éternuer, dans le métro, lors de la présence d’officiers verts. Nous sommes devenus maîtres dans l’art de souffler la poudre avant de nous esquiver juste au départ de la rame. Nous pratiquons aussi le jet de « bombes algériennes ». Ce sont des petits pétards qui explosent quand on les jette devant nos victimes. Quand nous le pouvons, mais cela devient de plus en plus rare car l’occupant a fini par comprendre, nous nous arrangeons pour diriger le soldat qui nous demande son chemin à l’opposé de l’endroit où il souhaite aller. (p. 184-185)
Caché dans une petite chambre : Je ne sais comment c’est arrivé, toujours est-il que le couple de propriétaires du Petit Robinson a accepté de me cacher et de m’héberger, malgré les risques encourus. Ils m’ont installé dans une petite chambre, au fond d’un pavillon annexe. Ils sont adorables avec moi. Je les aide parfois à faire la « plonge » : j’essuie les verres et les couverts. Quand il fait beau, je nage un peu dans la Marne, ou je regarde un pêcheur lancer un filet en forme d’épervier pour capturer la fameuse friture. Surtout, je lis tout ce qui me tombe sous la main, tous les livres qu’il me donne ou que je lui emprunte. (p. 237-238)
Un nouveau nom : La pension est l’institut Marigny, à Vincennes, non loin du château. Il m’y a emmené un après-midi. Le directeur a demandé que j’attende dans le jardin. Mon père m’a embrassé et il est parti. J’ai attendu. Le soir est tombé, j’attendais toujours. Le directeur est arrivé. Il m’avait oublié. Il m’a délivré une carte d’identité scolaire que je peux montrer à la place de ma vraie carte. Il y est inscrit que mon nom est Levé. J’ai signé ma carte d’une toute petite signature qui entoure mon nom et le raye, comme si je voulais à la fois me protéger, me cacher et biffer ma propre existence. Je me suis installé dans une chambre à quatre lits. Les autres pensionnaires n’arriveront que dans une semaine. Le directeur me met en garde. Il faut que je fasse très attention : quand il m’appelle Levé, je ne réponds pas. On me présente au surveillant général, Monsieur Chiffarati. Visiblement Chiffarati est dans la même situation que moi. Il se cache. Il a un accent italien prononcé. Tout de suite, lui et moi sommes devenus amis. (p. 241-242)
Je n’avais jamais quitté mes parents : Difficile de saisir ma situation. Je n’avais jamais quitté mes parents et je me retrouve là, les yeux grands ouverts, me demandant où mon père peut bien être. S’il souffre, s’il pense à moi et même, car l’idée me taraude, si son coeur a résisté à tout cela. Et puis, j’ai des doutes, suis-je vraiment en sécurité dans ce repère d’enfants juifs, avec des soldats verts de l’autre côté du mur situé à ma droite ? Quant à ma mère, je ne savais ni où elle était, ni ce qu’elle faisait. (p. 279)
Ils ne veulent pas jouer : Alors que je réunis mes camarades pour jouer à chat, Nicole et Jean-Jacques s’isolent, s’assoient sur une planche et font bande à part. Mais je suis au courant par Monsieur Sèches, je leur demande si c’est par respect pour leur père, envoyé en camp de concentration, qu’ils ne veulent pas jouer. Nicole, étonnée, répond par l’affirmative. Je lui explique alors que, tous ici, nous sommes à peu près dans la même situation et que nos parents refuseraient que leur emprisonnement soit un prétexte pour s’isoler. Alors Nicole se lève et m’embrasse, sur la joue. (p. 310)
François LECOMTE, Jamais je n’aurai quatorze ans, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2005
Salomon MALMED : Entrer dans la clandestinité
Protégé par l’OSE : Oui, c’est ainsi et je le dis : durant les hostilités, le petit garçon que j’étais, juif de surcroît, n’a pas vécu ni ressenti le malheur. Durant six ans, protégée par l’OSE, ma vie aura été une succession de dépaysements à travers la France. Une bien grande « promenade », jalonnée par quelques longues étapes ponctuées d’aventures variées. Dans la nature sauvage, on observe souvent que des mères, sentant leurs petits menacés, changent de tanière pour les mettre à l’abri des prédateurs. (p. 40)
Entrer dans la clandestinité : Mais les dirigeants de l’OSE, pressentant l’imminence du danger, entrent alors en clandestinité et organisent secrètement l’évacuation de tous leurs protégés, sachant que des menaces mortelles pèsent lourdement sur eux.Ainsi, tous les enfants quittent assez rapidement les châteaux, ces « prisons dorées » puis sont répartis et cachés, pour la plupart d’entre eux, dans des familles d’accueil dans le sud de la France (p. 86-87).
Mentir pour survivre : Elle me saisit par un bras et m’entraîna un peu à l’écart de notre petit groupe. Là, en me parlant doucement à voix basse, avec un regard scrutateur et inquiet autour d’elle, elle me dit :« Dis Sali… est-ce que tu sais où tu es né ?
— Bien sûr j’le sais ! J’suis né à Paris !
— Écoute bien Sali, c’est très important. Pour une fois, sois un peu sérieux, arrête d’être turbulent, calme-toi et surtout écoute bien. Tu crois que tu es né à Paris parce qu’il y a longtemps, tu étais là-bas avec ta maman. Mais maintenant, il faut que tu saches et que tu te rappelles bien que tu n’es pas né à Paris. Tu sais, c’est marqué sur tes papiers, tu es né à Saint-Quentin. Et ça, il faut absolument que tu le saches et que tu t’en souviennes toujours. C’est la vérité. Et surtout, fais très attention… Si des « messieurs » s’approchent de nous et te demandent où tu es né, il ne faut surtout pas avoir peur. Il faut leur dire ce qui est vrai et répondre que tu es né à Saint-Quentin. C’est très important. Est-ce que tu as bien compris ?
— Oui, bien sûr j’ai compris… C’est où Saint-Quentin ? » (p. 91-92)
Salomon MALMED, Sali, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2005
Otto FISCHL : Me cacher comme un malfaiteur
31 juillet 1944 – Une auto vient de s’arrêter devant la maison, ce sont des clients, il faut disparaître de ma chambre…Pourquoi suis-je obligé de me cacher comme un malfaiteur, moi qui n’ai rien fait de mal à personne ? Et dire que cela se passe au XXe siècle, c’est incroyable. (p. 187)
Enfermé toute la journée : 3 août 1944 – M. Stacke est parti à Cognac pour toute la journée, et justement son frère est venu. Cela veut dire que je serai enfermé toute la journée dans ma chambre, que peut-être je ne mangerai pas à midi, ce qui sera très désagréable pour moi et mon estomac, et que je n’aurai rien d’autre à faire que lire et écrire. Mais comme les nouvelles sont bonnes, cela ne me met pas en mauvaise humeur. (p. 196)
Je m’ennuie mortellement : 9 août 1944 – Chez nous, tout va bien, je m’ennuie mortellement et rien ne m’amuse, mais rien. La guerre ne finit pas, nous sommes sans radio, sans nouvelles, quelles heures ! Il ne me manquait plus que cela. Je fais tous mes efforts pour ne pas perdre la patience qui m’est si nécessaire aujourd’hui, plus nécessaire que jamais. C’est une crise que je traverse, on croira qu’elle n’est pas grave, elle est très grave, surtout dans une telle situation. Je surmonterai cette crise et si je n’ai pas désespéré jusqu’à aujourd’hui, je ne désespérerai pas dorénavant. (p. 225)
Sept heures à ne rien faire : 10 août 1944 – Chez nous, tout va bien, absolument rien de nouveau. J’attends l’arrivée des Américains qui ne viennent pas, mais qui ne sont plus très loin. Je n’ai rien à faire, voici comment je décompose la journée : je me lève à 9 heures, je déjeune à 9 heures et demie, je vais dormir à 9 heures et demie, donc il y a un intervalle de douze heures, je mange une heure, je joue au piano une heure, je lis de deux à trois heures, j’écris une demi-heure, donne de l’eau aux canards et [passe] dans la cuisine une demi-heure, total cinq heures. Douze heures moins cinq heures égale sept heures. Sept heures où je n’ai rien à faire. Que faire pendant ces sept heures : balayer, je ne veux pas, faire de l’ordre dans la cour ne sert à rien car il y a sept enfants pour faire du désordre, couper du bois ne me plaît pas, alors, que faire ? Rien. Je m’ennuie. (p. 226)
Otto FISCHL, Mon journal, 19 octobre 1943-15 mars 1945, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009
Pierre AUER BACHER : Eloigné de tout
J’avais treize ans. Je partis donc au printemps 1943 en Corrèze, à vingt kilomètres de Brive, dans la forêt de Lanteuil-Cognac, au château de La Praderie, chez les frères André et Richard Neher, et leur soeur, Hélène Samuel, ainsi que leurs parents, M. et Mme Albert Neher. La famille Neher avait, dès 1941, repéré une ancienne gentilhommière perdue en pleine forêt. Ils se mirent en devoir de la restaurer. Restaurer est un bien grand mot, car il n’y avait ni chauffage, ni fenêtres, ni eau. Mais elle présentait un avantage énorme : elle était éloignée de la grande route et se trouvait dans un paysage sauvage et pratiquement, du moins le croyait-on à l’époque, inaccessible. Les Neher réunirent autour d’eux une quinzaine de jeunes, dont l’âge allait de onze à dix-huit ans. Le but était de poursuivre, en quelque sorte, des études. En fait, il s’agissait surtout de se tenir éloigné des grands circuits et des descentes possibles des Allemands. (p. 174-175)
Notre programme était bien simple : Quant à ma vie matérielle, je logeais dans une sorte de couloir et dormais, dans un grand lit en bois mal équarri, sur une paillasse de foin avec une couverture. Notre programme était bien simple. Nous nous levions aux aurores. Nous nous couchions très tôt le soir, à la lueur des bougies, qu’il fallait bien économiser. Pendant la journée, nous nous retrouvions pour travailler. Nous travaillions en équipe. Nous travaillions en étude, demandant des conseils à André, à Richard et à M. Samuel. Le grand problème était la nourriture. Nous n’avions ni les uns ni les autres de cartes d’identité puisque, dès le jour où nous étions entrés à La Praderie, nous étions devenus, en quelque sorte, des hors-la-loi. (p. 176-177)
Pierre AUER BACHER, Souvenirs d’une période trouble, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2008