Les Juifs sont arrêtés

Pierre AUER BACHER, : Accusés d’écouter la radio anglaise

Pierre Auer Bacher

Accusés d’écouter la radio anglaise : C’est à la fin 1942 qu’eut lieu la première descente de la Gestapo chez mes parents, sans doute à la suite d’une dénonciation. Quoi qu’il en soit, un soir, au moment du dîner, quelqu’un sonna. Quand mon père ouvrit la porte, il se trouva devant deux personnages brandissant la carte de la Gestapo qui déclarèrent de but en blanc : « Nous faisons une descente car vous êtes accusés d’écouter la radio anglaise ». (…)

On prit les cartes d’identité de mes parents et on leur demanda de venir les chercher le lendemain à la Gestapo. Les deux policiers s’en allèrent et nous poussions déjà un soupir de soulagement, quand ils revinrent. Ils emmenèrent alors un de nos amis en visite chez nous, Lévy, en lui disant qu’on le relâcherait immédiatement. Ce brave homme a été déporté et n’est jamais revenu. (p. 162.) 

Pierre AUER BACHER, Souvenirs d’une période trouble, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2008

François SZULMAN : « Police, ouvrez »!

François Szulman

« Police, ouvrez »! : Le 16 juillet à l’aube, vers 4 heures, nous sommes réveillés par des coups violents tambourinés sur la porte. « Police, ouvrez ! » Les yeux embués de sommeil, maman ouvre. « Vous êtes bien Feiga Szulman, née Zilberman, et c’est votre fils, François ? » En désignant ma tante : « Vous êtes Chana Zilberman ? Préparez-vous, nous repassons vous chercher dans une demi-heure. Vous devez emporter deux jours de vivres et quelques effets personnels. À tout à l’heure ! » Tante Chana et ma mère sont comme pétrifiées. Dans la maisonnée, des cris fusent, en même temps qu’on entend des bruits de pas. Maman boucle notre maigre bagage et s’assoit, la tête entre les mains. Tante Chana remplit un sac avec quelques aliments.

Effectivement, une demi-heure plus tard, les agents sont de retour. L’air étonné, nous les suivons, accompagnés sur le palier par nos voisins, les Demonain et le père Vallet. Nous rejoignons les autres Juifs dans la cour. Précédés par deux agents de police, nous partons balluchon à l’épaule. (p. 56-58) 

Nous venons vous arrêter : Le lendemain du retour de papa, sur le petit matin, nous sommes réveillés par une tambourinade sur la porte.

« Ouvrez, police ! »
Papa ouvre la porte :
« Que voulez-vous ?
– Papiers ! Vous êtes juifs, nous venons vous arrêter !
– Vous êtes fous ! Je rentre du Stalag par la Relève, je suis arrivé hier. Vous croyez que les Allemands auraient libéré un Juif ? Tenez, voici mes papiers militaires.  
Les deux inspecteurs se regardent, l’air interrogateur :
–  Mais la concierge vous a dénoncé comme juifs tous les trois !
– Elle est complètement folle, abrutie par l’alcool ! »
L’inspecteur qui paraît être le chef :
« Bien, dans ces conditions, nous partons. Au revoir. »
( p. 68)

François SZULMAN, Le petit peintre de Belleville, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2018

Fanny et David SAULEMAN : Mon père a été arêté

Fanny et David Sauleman

Mon père a été arrêté : Mon père a été arrêté le mercredi 20 août 1941 vers onze heures du matin par deux policiers français en civil. Ces policiers français sont montés chez nous, accompagnés de Mme Sulpice, la concierge. Maman, qui était enceinte de huit mois (Maurice, mon frère, est né le 15 septembre 1941, soit vingt-six jours plus tard), et moi étions présents à la maison. (…)

Comme presque tous les Juifs présents à Paris ce jour-là, mes parents avaient eu connaissance de cette rafle. Dès le bouclage du XIe arrondissement, mon père attendait son arrestation. Les nouvelles circulaient très bien et très vite. L’arrondissement était totalement cerné par les forces de police françaises et par les Allemands qui, cependant, n’ont pas effectué eux-mêmes ces arrestations domiciliaires. Cet encerclement rendait impossible toute tentative de fuite, surtout à trois. Pris dans la nasse, mon père ne s’était donc pas caché. Il réagissait de la sorte comme tous les Juifs qui craignaient qu’en leur absence les policiers ne se retournent contre leur femme et leurs enfants. Il est parti avec une petite valise contenant quelques vêtements d’été et un petit morceau de pain. Il devait, selon les policiers, revenir dans un jour ou deux…

 

Nous ne l’avons jamais revu. ( p. 253-254)

Nous n’osions plus sortir : Pendant mon séjour à La Roche-Guyon, la plus grande rafle réalisée à Paris, la rafle du Vél’ d’Hiv’, avait permis, les 16 et 17 juillet, l’internement de plus de treize mille Juifs (neuf mille adultes et quatre mille enfants dont plusieurs très jeunes). Les femmes et les enfants avaient été arrêtés en grand nombre.

Maman et Maurice y avaient échappé : pour moi c’était un miracle (j’ignorais à cette époque que les Turcs et les Grecs n’étaient pas ciblés par cette rafle). Mais l’atmosphère que j’ai trouvée en revenant était difficile à vivre. Je cherchais vainement mes petits camarades, je ne voulais pas croire qu’ils avaient été pris et que je ne les reverrais plus. Plus tard, à la rentrée des classes, leur absence s’est malheureusement confirmée. Nous n’osions plus sortir, nous avions peur d’ouvrir la porte lorsque quelqu’un frappait. Il ne fallait pas faire de bruit et laisser croire que nous n’étions pas là. Nous imaginions mille et une ruses pour empêcher mon petit frère de pleurer.  (p. 315-316)

Ils nous emmenèrent sans ménagement : Dans la nuit du 4 au 5 novembre, nous avons été réveillés en sursaut par la concierge, Mme Sulpice, qui tambourinait à notre porte et qui de sa voix forte et désagréable nous ordonnait d’ouvrir. Il était inutile de se demander quelle était la raison de son comportement, vu le nombre de rafles qu’il y avait alors à Paris, nous étions parfaitement au courant. Ma mère ouvrit la porte et laissa entrer la gardienne qui était accompagnée de deux policiers français en civil. Grossiers et arrogants, ils nous accordèrent quelques minutes pour nous habiller et faire un paquet de nos affaires. Ils empêchèrent Maman de prendre la moindre nourriture, et notamment ne lui donnèrent même pas le temps de préparer des biberons pour Maurice. Ils nous emmenèrent sans ménagement avec eux. (p. 319-320)

Les enfants hurlaient de peur : Une dizaine au moins de policiers en civil et de gardiens de la paix en tenue, c’est ainsi que l’on appelle ces individus, ivres de cruauté, hurlant, vociférant, s’acharnaient en frappant à coups de poings redoublés, cognant avec leurs matraques ou leurs bâtons, sur tous ceux qui passaient à leur portée afin d’accélérer le chargement des autobus. Ils brutalisaient avec un plaisir évident les vieillards et les femmes qui ne pouvaient évidemment se défendre. Les valises ou les balluchons remplis à la dernière minute et à la hâte s’ouvraient et laissaient échapper leur contenu sur la chaussée. De nombreuses Mamans et leurs enfants qui hurlaient de peur étaient encore en chemise de nuit ou en pyjama, certains agents ne leur avaient même pas laissé le temps de s’habiller. (p. 322 )

Fanny et David SAULEMAN, Deux mètres carrés, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009