Les interdictions

François Lecomte : 'Jüdisches Geschäft, entreprise juive'

Francois Lecomte

‘Jüdisches Geschäft, entreprise juive’ : Le 27 septembre 1940, des affiches ont couvert les murs de Paris : « Tout commerce dont le propriétaire ou le détenteur est juif doit être désigné par une affiche spéciale mesurant 20 cm sur 40 et portant la double inscription “ Jüdisches Geschäft, entreprise juive ”, et ce avant le 31 octobre 1940. » Cette mesure sera suivie par l’interdiction d’achat.

« Ils veulent nous empêcher de vivre », a-t-il dit [le père de François], et a mis en vitrine l’affichette jaune en question : Jüdisches Geschäft, mais il en a suspendu une autre au-dessous. Sur celle-là, il a épinglé la médaille militaire et la croix de guerre de mon grand-père, et ses propres décorations. Il a marqué :

Maison fondée en 1909 par MAURICE LÉVY
sergent au 291eme R-I
MORT pour la FRANCE le 8 JUIN 1916 à FLEURY devant DOUAUMONT
tenue par son fils
Carte combattant 66e B.C.P. N° 93.915    INVALIDÉ DE GUERRE

Immédiatement après le double affichage, des flics français sont venus en force ordonner qu’il retire la seconde pancarte. « Jüdisches Geschäft » doit rester seul, sans commentaires qui, d’après eux, n’intéressent personne. (p. 169 et 173)

Les Juifs n’ont plus le droit de travailler : Ce 20 août 1941, la police française a bouclé le XIe arrondissement de Paris. Quatre mille deux cent trente-deux Juifs sont arrêtés et conduits à Drancy.
Une nouvelle mesure oblige les Juifs à remettre leur poste de TSF aux autorités. Mon père a donné son beau poste à la première du magasin, contre un vieux poste déglingué que l’on a remis aux autorités. C’est Jules le vendeur qui s’est chargé du transport des appareils.
Ce matin, le téléphone a sonné. J’ai décroché, pour entendre une voix rugueuse : « C’est bien une maison juive ici ? » Interloqué, j’ai répondu : « Heu, oui ». Et la voix de répondre : « À partir de cet instant, vous n’avez plus le téléphone. » La tonalité a disparu.
L’isolement grandit de jour en jour.
Cette fois, c’est fini. Il ne peut plus aller au magasin. Les Juifs n’ont plus le droit de travailler. (p. 197-198)

‘Toi, le Juif, tu descends’ : L’autre jour, j’ai pris le métro. Je suis monté dans la première voiture, là où le préposé appuie sur les boutons pour fermer les portes. Il y avait dans ce wagon un officier supérieur allemand, reconnaissable à la beauté de sa dague, qu’il tripotait nerveusement en me fixant. À la station suivante, l’employé du métro m’a dit : « Toi, le Juif, tu descends. Il t’est interdit de monter ailleurs que dans la dernière voiture ». Comme je descendais en passant devant lui, il prononça dans un souffle : « Pardon. » (p. 231)

François LECOMTE, Jamais je n’aurai quatorze ans, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2005

Fanny et David Sauleman : Jardins publiques interdits aux Juifs

Fanny et David Sauleman

Jardins publiques interdits aux Juifs : Quelquefois, pendant que nos mères discutaient sur le boulevard Voltaire, Maurice dormant dans son landau, nous, les enfants, jouions sur le trottoir devant le jardinet de la place Voltaire. Je dis bien « devant », puisque les Juifs n’avaient pas le droit d’entrer dans un jardin public, sous peine d’être internés ! (p. 276)

‘Si le maréchal Pétain était antisémite, le maréchal avait raison’ : À cause des lois antijuives, nous n’avions pas le droit de jouer dans le jardin public de la place des Vosges, alors nous jouions soit dans les grandes salles du patronage, soit dans la rue. En dehors des vélos-taxis, il n’y avait pratiquement pas de circulation sur cette place, nous ne gênions personne, nous pouvions même jouer au ballon prisonnier au milieu de la chaussée. Les gardiens des jardins publics étaient particulièrement vigilants et nous chassaient dès qu’ils nous apercevaient. Gardien de square était un emploi protégé, réservé aux anciens combattants de la guerre de 1914-1918, lesquels étaient en général pétainistes. Pour ces anciens militaires, si le maréchal Pétain était antisémite, le maréchal avait raison, et ils obéissaient. (p. 312)

 

Fanny et David SAULEMAN, Deux mètres carrés, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009

Pierre Auer Bacher : Le couvre-feu

Pierre Auer Bacher

Le couvre-feu était établi. Ainsi, en 1942, on ne pouvait plus sortir entre cinq heures du soir et cinq heures du matin. À Paris, les métros étaient arrêtés à cinq heures et demie, les restaurants étaient fermés. Pendant toute la durée du couvre-feu, les fenêtres devaient être fermées. Les rues se dégarnissaient.

Pierre Auer Bacher, Souvenirs d’une période trouble, Le Manuscrit/Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2008, p. 170