Avant la guerre

François Szulman : Première expérience scolaire

François Szulman

Le 1er octobre 1935, habillé de neuf, je pénètre dans l’école et me retrouve dans une grande cour, séparée en son centre par deux énormes marronniers. Ma mère m’abandonne. Dans cet univers totalement inconnu, une angoisse insupportable m’étreint, des flots de larmes dégoulinent sur mon visage. Une dame me prend dans ses bras. Je ne comprends pas un mot de ce qu’elle me dit. Où suis-je tombé ? Où est ma maman ? Quel ne fut pas mon soulagement, lorsque, dans l’embrasure de la porte, maman est là qui m’ouvre les bras !

Cette première expérience scolaire est une catastrophe. Je n’arrive plus à communiquer avec mes proches : yiddish-français, français-yiddish, mais je ne comprends pas le français ! Je garde de cette période un souvenir désagréable.

Heureusement, mes facultés d’adaptation font merveille. Au bout de deux à trois mois, je parle couramment le français. À la maison, je fais un blocage : je n’entends plus le yiddish et oblige mes parents à me parler dans ma nouvelle langue. ( p. 30)

Tous les jeudis et dimanches, dès le retour des beaux jours, nous envahissons le parc des Buttes-Chaumont avec un sac rempli du goûter de « 4 heures » et une mallette de secours avec alcool, coton hydrophile, bande Velpeau, absolument nécessaire en prévision de mes chutes successives dues à cette maladresse innée qui me poursuit depuis ma naissance. En dehors des jeux traditionnels avec mes copains, les jeudis sont occupés par un tour de manège et une séance de balançoire. Les dimanches, papa m’installe sur la charrette attelée à un âne qui fait le tour du lac ; ensuite j’assiste au spectacle du Théâtre Guignol Anatole. Puis nous faisons la queue devant la baraque du marchand de gaufres et mon père m’offre une volumineuse barbe à papa toute rose et bien sucrée. (p. 39)

François SZULMAN, Le petit peintre de Belleville, Le Manuscrit/Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2018.

Fanny et David SAULEMAN : Avant l'application des lois antisémites

Fanny et David Sauleman

J’ai le souvenir de récompenses lorsque, en cours d’année, j’avais de bons résultats : nous allions alors, Maman et moi, goûter chez Rumpelmayer, un salon de thé qu’elle affectionnait sous les arcades de la rue de Rivoli. Selon Maman, les gâteaux de ce pâtissier étaient les meilleurs de Paris, ils étaient mêmes meilleurs qu’à Salonique, ce n’était pas peu dire ! Ensuite, nous allions voir les enfants jouer sur les bassins du jardin des Tuileries avec des petits voiliers ; quelquefois Maman m’en louait un. (p. 191)

Avant l’application des lois antisémites, nous pouvions jouer dans le jardin du centre de la place, ou bien nous allions en promenade ou piqueniquer en forêt. Des jeux de piste étaient organisés, puis en fin de journée, assis en rond, nous jouions à la chandelle. Souvent, accompagnés à l’harmonica, nous chantions les chants de jeunesse appris à l’école. (p. 192-193)

Fanny et David SAULEMAN, Deux mètres carrés, Le Manuscrit/Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009.