AEI-MAL-PANNEAU

Mal

Définition : Tout ce qui fait souffrir, physiquement ou moralement.
Centre national de ressources textuelles et lexicales

Citation :

« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. »
Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, coll.Quarto, Gallimard, 2002

Le massacre des enfants juifs

Le massacre des enfants juifs Joseph Jourdren arrivé à Ellrich le 27 mars 1944 raconte cette terrible histoire. Voici de larges extraits de ce témoignage qui date de 1992 et qui a été publié dans Patriote Résistant, le mensuel de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes). « Je suis arrivé au camp d’Ellrich, près de Dora, le 27 mars 1944 […] Nous y étions, approximativement, 500 à 600 détenus. Dès l’arrivée au camp, dans l’après-midi, j’étais affecté, avec 60 autres […] dans un Kommando chargé d’extraire, dans un marais situé juste à l’entrée du camp, des rhizomes de roseaux. Il faisait très froid. Nous avons dû casser la glace avant d’atteindre l’eau boueuse, où, immédiatement, nous nous trouvions plongés jusqu’au ventre. A mains nues, le ventre, les épaules, voire le menton, et bien entendu les bras dans l’eau, nous avons arraché jusqu’au soir ces maudites racines sous les coups du Kapo et des Vorarbeiter qui trouvaient que nous n’allions pas assez vite […] Le cinquième jour, vers six heures du matin, un matin froid et brumeux, notre Kommando, déjà réduit à 40 Stücke, les autres étant morts dans le marais ou sur la place d’appel, ou dans le Block, était au garde-à-vous, avec les autres Kommandos, le long de la bâtisse délabrée qui nous servait de dortoir. Arrive le commandant du camp. Il souriait, et je vous assure que ce sourire était sinistre. La mort du tiers de notre Kommando n’augurait rien de bon pour nous, mouillés et gelés depuis quatre longs jours. Après le rituel discours en allemand, le commandant fit signe à l’interprète de traduire, et celui-ci s’exécuta, d’abord en russe, puis en polonais, et enfin, en français. Et voici ce que j’ai alors entendu : « Vous, les Stücke du Kommando du marais, le commandant dit que vous avez de la chance. Le commandant va, tout à l’heure recevoir un groupe de Juifs et c’est eux qui vont prendre votre place dans le marais. Le commandant dit qu’il a reçu l’ordre du Führer de tuer ces Juifs, et le commandant pense, en voyant ce qui reste de votre groupe après quatre jours, qu’il n’aura pas trop de mal à y arriver. Le commandant dit que cela leur évitera de goûter les senteurs d’Auschwitz. » Je dois vous dire qu’à cette époque, j’ignorais et le nom et l’existence des chambres à gaz d’Auschwitz, ce qui ne m’a pas permis d’apprécier à sa juste valeur la plaisanterie du commandant. Par contre, j’ai encore aujourd’hui dans les oreilles l’écho des gros rires du commandant, des officiers SS et du Lagerältester qui l’accompagnaient. Nous avons alors, effectivement été répartis entre les autres Kommandos […]

Nous devions construire une route. Et dans le courant de l’après-midi, j’ai vu arriver les Juifs annoncés, nos remplaçants. Mais je peux vous assurer que je ne m’attendais pas du tout à ces « Juifs »-là. Ceux que je voyais, c’étaient des enfants ! Les plus âgés, vus de notre colline, n’avaient certainement pas plus de quinze ans ! Les plus jeunes ne paraissaient pas dépasser six ou sept ans ! Le soir, au retour du travail, nous les avons vus, rangés sur cinq files, déjà moins nombreux, à l’entrée du camp. Notre Kapo, qui parlait très bien le français nous a dit qu’ils étaient là parce que, aux dires des Posten qui nous gardaient sur la colline, ils allaient coucher sur place, dans la boue à moitié gelée et, toujours d’après les Posten, parce que le commandant avait décidé qu’il était inutile de leur affecter une partie d’une des masures qui nous servaient de Block-dortoir et ce, d’autant moins qu’une trentaine d’entre eux s’étaient déjà noyés dans le marais ou étaient morts de froid et qu’il était donc inutile de s’en préoccuper davantage. Et je les ai bien regardés, ces petits Juifs : je leur devais ma vie. Je les revois encore, hâves, décharnés, trempés de la tête aux pieds dans leurs vêtements dérisoires, la plupart d’entre eux en culottes courtes, les chaussettes tire-bouchonnées leur tombant sur des chevilles souillées de la boue du marais. Ils n’avaient même pas la force de pleurer leur désespoir et je me rappelle encore ces yeux immenses qu’ils avaient, comme remplis de toute la détresse du monde. […] Ils ont duré trois jours, ces enfants Juifs. Pendant trois jours, de « ma » colline, je les ai vus, frappés à coups de manche de pioche par les SS qui les gardaient, et qui, pour ne pas salir leurs bottes, avaient disposé des madriers dans le marais pour pouvoir les atteindre plus facilement. Mon Kapo, le « Noir » allemand, a hoché la tête pendant trois jours, en répétant « Junge, Junge, Juden ! » d’un air désespéré. De temps en temps, je regardais le marais. Jamais je n’oublierai ! D’après le Kapo, c’étaient de jeunes Juifs hongrois. Ils étaient probablement entre deux cents et deux cent cinquante. »

Témoignage de Boris Cyrulnik

« Les théories totalitaires soumettent les gens, ou plutôt j’aurais dû dire : les gens se soumettent aux théories totalitaires. Parce qu’il y a un bonheur dans la soumission. On répète la voix du chef. On adore le chef. Il ne faut pas oublier que le nazisme a provoqué une extase en Europe et même en Occident et en Asie. Ça a provoqué une extase parce que les gens qui y croyaient, qui se soumettaient à cette théorie, étaient convaincus que, en éliminant les Juifs, les Tziganes, les homosexuels, en écrasant les nègres, en tuant les polonais, en épurant – c’était leurs mots- en épurant la société, ils allaient donner mille ans de bonheur à la belle société aryenne blonde aux yeux bleus et dolichocéphale. Et les gens y ont cru. Ils se sont soumis à cette représentation. Les hommes se sont engagés dans l’armée, dans les armées, dans les milices, pour réaliser cette extase des mille ans de bonheur. Les femmes, alors que la théorie nazie est d’un mépris incroyable envers les femmes, elles ont voté en forte majorité pour le nazisme parce qu’il y avait l’extase, il y avait le bonheur dans la soumission, le bonheur dans la servitude. En échange de ma servitude, je vais me sacrifier en partie et je vais donner à la belle humanité blonde et nazie, aryenne, je vais leur donner mille ans de bonheur. Et les gens se sont engagés, se sont tués, au début avec volupté. Ensuite tout le monde a souffert, les Allemands aussi ont souffert. Tout le monde a souffert. Les Français ont souffert, les Juifs bien sûr, les Tziganes ont souffert. Les homosexuels, au début, ont souffert. Tout le monde a souffert. Et ensuite, à la fin de la guerre et surtout après la libération, les Allemands ont énormément souffert. On en parle pas. On fait aux Allemands ce qu’on a fait aux Juifs. C’est à dire qu’on les a fait taire. Pendant des décennies, après l’effondrement et il n’y a pas longtemps encore, quand Günter Grass a dit qu’il avait été engagé dans les jeunesses nazies, on le lui a reproché. C’était un enfant. Tous les Allemands étaient obligés de s’engager dans les jeunesses nazies. C’était la doxa. C’était la soumission. Je pense que la plupart des Juifs qui ont survécu, ont survécu parce que quelqu’un ne s’est pas soumis autour d’eux. » Témoignage de Boris Cyrulnik, Des mots pour comprendre, 2011, transcription